Pratiquer la pédagogie d'initiation
Sans en résumé la complexité, voici quelques grands principes que la pédagogie d'initiation mobilise dans sa mise en oeuvre :
la place centrale donnée au langage verbal oral et écrit comme langage de médiation entre la pensée de l'enfant et son expression ;
le projet initié par une situation authentique (ouverture de l'école sur la vie) et conçu comme un continuum expérientiel (Dewey), où l'expérience de l'art pensée comme expérience du collectif (Tortel), du sensible, de l'esthétique et de la démocratie (Kerlan) occupe une place importante dans la construction du rapport aux apprentissages scolaires ;
la situation-problème comme principe didactique ;
la dimension interdisciplinaire du projet autour d'une question souvent philosophique, répondant aux centres d'intérêt, aux besoins d'apprentissage et aux questionnements fondamentaux de l'enfant ;
l'écoute, le dialogue et la prise en compte de la parole de l'enfant, de son expression et de son histoire singulière ;
le commentaire critique et constructive, base de nombreux échanges oraux, favorisant la prise de conscience ;
les pratiques collectives sont des espaces d'initiation aux principes démocratiques et aux expériences langagières. Par ex.: le dessin collectif, la classe cuisine, la discussion philosophique, faire classe dans son environnement proche, classe associée UNESCO, etc. ;
la prise en compte de tous les langages (verbal et non verbal) pour penser, raisonner et s'exprimer, en donnant une place à des formes langagières multiples : plastique, corporelle, géographique, dessinée, musicale, dansée, écrite, sculptée, brodée, scientifique, culinaire, picturale… ;
l'enrichissement culturel, scientifique et artistique exigeant, en résonance avec les recherches des enfants.
(...)
La démarche
Écoutez-les
En présence de l'objet, en présence du projet, en présence du problème... Écoutez-les, plume en main : notez, et vous aurez d'abord gagné de les avoir vraiment entendus, et dans la totalité de ce qu'ils ont à dire... Vous ne soupçonnez pas leurs richesses, vous méconnaissez leurs véritables difficultés. Et puis, votre silence leur permettra d'étancher cette soif d'être celui qui parle, celui qui sait parler, parce qu'il pense, parce qu'il est tout frais devant l'objet, parce que l'objet lui parle, parce qu'il a tout autour de lui aussi, des yeux qui se tournent vers lui, des oreilles qui l'écoutent. Sentir s'écouler dans l'espace ce bruit de parole qui s'épand avec le souffle, comme une émanation de soi, qui vous charme vous-même, c'est pour l'enfant un plaisir encore neuf, un jeu où la découverte de soi se mêle encore à la joie d'être cause, un jeu où l'investigation du réel porte encore la marque d'un éblouissant éveil.
Restituez pour vos enfants, toute l'importance, toute la solennité, toute l'ampleur de cette expérience du verbe qui s'essaie, s'établit et se contemple dans sa splendeur première. Écrivez donc, très appliquée, très concentrée et que votre attitude ne cèle rien de votre intérêt... le moment viendra où votre attention muette, où votre plume et votre page concentreront à leur tour la curiosité et conduiront la pensée jusqu'à la vision complexe de cette maîtresse tout à la fois intéressée et intéressante, fixée sur le secret de ces paroles envolées, capable de les ressusciter, capable de les relire, encore et autant de fois qu'on veut, capable de nous les faire retrouver nous-mêmes dans ce temps révolu où nous avons semé nos paroles et de prouver par là tout à la fois, que la parole vaut qu'on s'en occupe, qu'elle a un poids, une densité, une valeur, qu'elle vaut qu'on la mobilise et qu'on la domestique, qu'on la retrouve quand on l'appelle, quand on a besoin d'elle.
Car avant que vos enfants soient capables de cette domestication du langage par l'écriture, ils peuvent apprendre de vous que la parole, que leur parole a du prix, qu'elle vaut qu'on en prenne soin, qu'on la retienne par devers soi comme un objet bien à soi. Ce témoignage de l'adulte est précieux, il est contenu dans votre attitude, il a sa valeur d'exemple et autorise la prise de conscience.
Germaine Tortel
Collectif, forêt , gouache sur papier