Chantiers d'initiation

Germaine Tortel est devenue une figure inspirante (Casanova) pour de nombreuses et nombreux pédagogues. L'association soutient des expérimentations passées et présentes d'institutrices, professeures des écoles, formatrices qui s'engagent dans cette pédagogie en l'adaptant à leur contexte et à leur public d'enfants. Nous avons choisi ce texte, écrit par Germaine Tortel et introduit par Paulette Clad et Jean-Charles Pettier dans leur ouvrage de 2012, en espérant qu'il pourra être une source d'inspiration, d'orientation et de philosophie, en résonance avec vos explorations et vos recherches dans le quotidien de vos classes pour initier les enfants  à cette prise de conscience.

"L'écriture Tortelienne ne se donne pas immédiatement, elle exige examen critique et réexamen, réflexion, confrontation du lecteur à ses propres pratiques. De la même façon, pourrait-on dire, que la pédagogie d'initiation qui y est défendue. (...) On y saisit combien la pédagogie d'initiation ne peut se résumer simplement à l'emploi d'une suite de technique, mais on comprend presque nécessairement une vision métaphysique du rôle de l'enseignant dans sa classe. Laissons s'exprimer la pédagogue... "   

Paulette  Clad et Jean Charles Pettier, 2012 Pédagogie Germain Tortel, un avenir possible pour l'école maternelle


« Faire métier d'initiatrice, c'est accepter l'action lente, concertée, densifiée, continue que catalyse l'institutrice dans la classe quand, au niveau de tout contact, elle met en lumière, tel comportement ou tel autre détail qui révèle la solution à la question ou au problème posé, qui est éveille ou réveille l'intérêt ou le stimule en insufflant dans l'allure amorphe ou neutre du groupe, la perspective active spontanée et non dictée, donc l'attitude inquiète de qui doute de ses certitudes ; et spontanément, toujours, questionne ou s'interroge à haute voix. 

C'est surtout :

aller au cœur, au nœud, de l'être pédagogique qu'est l'enfant ou l'élève, personne en état de vacation, si ce n'est « en état de manque », en état de conscientisation de ses facultés, de penser, de savoir, de communiquer quelque chose de soi ;

aller au cœur de l'être pour l'atteindre en cette conscience potentielle.

Alors se dévoile le rôle d'acteur, de metteur en scène, de réalisateur et de producteur, de l'éducateur, au sein d'un public enfantin, attentif à ce public, d'abord, si attentif, qu'il en devient membre participant.

Notre tâche est d'initiation.

Bien voir le sens profond de ce mot.

L'initié est à une autre vie, il entre dans un cercle social nouveau, il devient un autre être - ainsi, l'initiation du « primitif ».

Nous avons : 

- à préparer un évènement dans la vie enfantine,

- à accomplir chez l'enfant, la naissance d'un être nouveau,

- à ouvrir les voix de la choses écrite.

Il nous faut donc : surveiller et étudier d'abord les comportements spontanés de l'enfant à l'égard de cette réalité qui l'entoure de toutes parts et qui matérialise l'existence de l'écrit. Comme le langage parlé, l'écrit est devenu :

- un accompagnement de la vie humaine,

- un fait, spirituel et social,

- un fait spécifiquement humain.

Rechercher soigneusement les occasions que l'enfant peut avoir de faire connaissance avec les manifestations du langage, écrit dans la vie humaine, lui donner le spectacle le plus généreux, le plus détaillé, le plus circonstancié et le plus éducatif possible,

- de cette activité humaine,

- de cette prérogative humaine.

Soyez artistes, afin que l'enfant naissent à la vie de l'artiste, aux recherches de beauté et de création, de recréation.

Soyez exquise lectrice afin que, par la lecture, vous attisiez ses intuitions et curiosités, lui ouvrant le champ disponible à jamais du livre et d'une culture.

L'initiation fait passer d'un monde à un autre, d'un statut à un autre ; ici, elle chasse le monde de l'enfance pour introduire les seules voies possibles à une existence d'homme hautement déterminée et qualifiée par sa tradition culturelle, parce qu'elle est la loi du clan. 

Ce qui distingue notre pédagogie, ce n'est pas qu'elle se veuille initiation, notion que, très superficiellement, on confond avec celle d'apprentissage qu'on lui oppose souvent, c'est que, se voulant initiation, elle confère à ce mot une réalité spirituelle qu'il s'agit, en toute circonstance, de redécouvrir, dans le même temps où cette réalité se construit son propre appareillage d'ascension, et se donne des contenus mentaux que, seule, la prise de conscience peut atteindre. 

L'initiation revêt une signification qui exclut donc l'apriorisme d'ordre technique, car le plan technique pour lui-même est terriblement réducteur ; il ne choisit que ce qui est producteur de certains résultats immédiats et directs, éliminant tous les détours, tous les essais, formateurs, lesquels sont la vie même.

Si nous voulons en rendre compte pleinement, non en fonction de ce que nous faisons, mais en fonction de nos motivations, de nos concepts et de cette philosophie d'éducation, qui détermine notre attitude intime et nos conduites, l'initiation prend valeur d'effectuation et de théorie, car elle détient son immanence et son dépassement, souci inscrit dans la croissance bio-psychique de l'être enfantin. 

Elle détient également son actualisation et sa permanence dans une opération d'ascèse, qui consiste à lui déférer ses significations.

Et nous rejoignons ici, l'une des exigences mentales les plus impérieuses parmi celles qui s'imposent à une éducatrice : rechercher où accueillir le sens le plus exhaustif et le plus profond de l'initiation, car elle a sa valeur de clé, tout ensemble ou conjointement, théorique et pratique, instrumentale et fonctionnelle.

C'est de cette signification, en quelque sorte tendue vers l'absolu, tour à tour saisie comme source vive de référence ; c'est à cette signifiance exercée par lui, réalisatrice de l'approche mentale la plus volontaire et la plus exigeante, qu'invite notre pédagogie ; c'est de ce haut lieu que nous apercevons notre tâche avec toutes ses finesse, dans la moindre de nos attitudes et la moindre de nos manifestations éducatives : gestes, paroles, écoute surtout, mimiques, manières d'être…

Le mot même « d'initiation » nous dévoile ses exigences. Du latin « initiare », il signifie en français : admettre à la connaissance et à la participation de mystères d'accès difficiles, réservés à des privilégiés ; et par extension : révéler, enseigner. Voisin de « initium », début, commencement, qui est à l'origine. Importance donc de l'origine : elle commande à l'ascension de l'esprit, elle donne accès à…– Elle lie ou attache l'être et le noue à ce qui lui est antérieur, et elle engendre ce qui suit.

Une méthode, c'est l'art de conduire l'esprit à la connaissance, à la vérité, afin de le rendre maître de sa pensée, capable de se diriger lui-même. 

Elle est intérieure à l'esprit qui doit connaître à la fois ce qu'il cherche et le ou les procédés capables de le conduire à la possession. 

Elle ne se passe pas du problème, elle en établit les données. Tendre à donner à l'enfant le sens de la méthode, c'est lui donner à la fois le sentiment d'un problème et les moyens d'arriver à la solution, afin qu'il construise sa science, dans le sens actif du terme. 

 En cela le problème ne se confond pas avec le mot « apprentissage » ou « dressage ». Il y a lieu de faire sentir le sens de l'opération, comme en calcul. Cela dépasse, et de beaucoup, la pratique, laquelle ne se dégage, comme automatisme, qu'à la fin de l'apprentissage lui-même. 

Qu'il construise sa science, qu'il s'en rende maître peu à peu, qu'il la domine à toutes les étapes du parcours. 

Une des vérités essentielles, c'est que la méthode doit se déplacer, elle n'appartient à l'adulte que pour passer dans l'enfant. 

C'est dans cette prise de conscience, d'une fin et des moyens propres à la réaliser que réside initiation, en cela réside le message, la transmission de l'héritage. 

Toute autre attitude dégrade l'esprit, ne lui permet pas d'atteindre pleinement à ses aspirations profondes, et le frustre de ce à quoi il a droit. » Germaine Tortel

Par nombre de ces aspects, l'idéal de référence de l'école à laquelle peut correspondre "la pédagogie d'initiation" paraît familier de l'enseignement du XXIe siècle. Nous pouvons prélever dans ce texte cinq éléments qui orientent l'école d'aujourd'hui :

- la centration sur l'élève,

- la prise de conscience et la compréhension de la dynamique d'apprentissage,

- la valorisation des réussites,

- l'importance du groupe,

- le travail en projet.